Les lanceurs d’alerte, héros ou traîtres ? Les exemples sont connus tant ils sont médiatisés : Julian Assange, Fondateur de WikiLeaks, Edward Snowden qui a rendu public le programme de surveillance de masse de la NSA, Antoine Deltour au Luxembourg avec les révélations de Luxleaks. En France, citons le Docteur Irène Frachon qui a déclenché l’alerte sur le scandale du Médiator ou encore Philippe Pichon, ancien commandant de police mis à la retraite d’office pour avoir dénoncé les dysfonctionnements du système de traitement des infractions en 2008.
Tous ont revendiqué le statut du lanceur d’alerte, parfois sans succès, pour être protégés. Harcèlement, licenciement, mise sur écoute pour certains, mais surtout ruine financière… Voici le triste sort de nombreux lanceurs d’alerte. Les sentiments sont paradoxaux à leur égard. Véritables traîtres aux yeux des États ou des grandes entreprises impliquées, surtout lorsque sont en cause des informations couvertes par le secret ; véritables héros aux yeux des victimes des faits révélés et d’une grande partie de l’opinion publique. Les lanceurs d’alerte se situent au milieu de l’éternel débat qui confronte liberté et sécurité, transparence et secret, ordre et désordre.
À l’origine, des femmes et des hommes confrontés à un choix éthique : tout révéler au risque de tout détruire, de se détruire mais dans l’espoir de reconstruire. Ainsi présentée, l’alerte dite « éthique » est parée de toutes les vertus ; la figure du lanceur est valorisée. Elle remplace celle du dénonciateur, trop souvent réduit à la délation. L’expression est si séduisante qu’elle a envahi les journaux, les tribunaux, puis les parlements. En quête d’un statut et d’un cadre, l’ancien gouvernement avait promis une loi. Plusieurs ministres, dont l’ancien Ministre de l’économie et des finances, Michel Sapin, ont présenté un projet qui est devenu la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Les articles 6 et suivants de la loi dite Sapin II nourrissent un chapitre 2 intitulé « De la protection des lanceurs d’alerte ». Sa philosophie s’inspire largement de celle de la CEDH qui voit, dans l’alerte, un élément de la liberté d’expression : le droit d’informer et d’être informé. Mais cette philosophie ne pouvait pas être absolue. De longs débats ont été à l’origine de divers compromis qui innervent les conditions de fond et de procédure. L’éthique semble imprimer toutes les étapes : des intentions du lanceur aux modalités de l’alerte. L’éthique respectée, la protection accordée est large : à la fois civile, pénale et professionnelle. Au final, a été bâti un véritable régime général transcendant notre vieille distinction entre le droit public et le droit privé, avec en toile de fond le droit pénal qui s’invite dans les conditions et les effets de l’alerte. Le tout laisse entrevoir un nid à contentieux inévitable tant sont sollicités tous les acteurs de la vie publique et économique.
Ce régime général n’est toutefois pas le seul applicable aux lanceurs d’alerte. Les régimes spéciaux, antérieurs à la loi Sapin, foisonnent et sont dotés de leur philosophie propre. Comment concilier le général et le spécial ? Comment relire le spécial à l’aune du général ? Ces questions se posent avec une particulière acuité en droit des affaires, droit du travail et droit de la fonction publique. Les juges ont même déjà anticipé l’application de la loi dans des décisions très récentes.
Il nous est apparu essentiel de réunir l’ensemble des professionnels du droit pour offrir des réponses en associant, sur chaque thème, des universitaires, des juges, des avocats et des directeurs juridiques. C’est l’objet du premier colloque du Club des métiers du droit en partenariat avec l’Université Paris-Saclay et le TGI de Versailles, organisé le 8 décembre 2017, pour l’anniversaire de la loi Sapin II.